DIVISIONS TERRITORIALES EN FRANCE en 1789 par A. BRETTE

SOMMAIRE

CARTE

GOUVERNEMENTS GÉNÉRAUX MILITAIRES

Leur dernier état fixé par l'ordonnance du 18 mars 1776. - Leurs limites sont indécises. - Grâces militaires sans fonctions réelles. - Erreurs communément répandues sur ces charges.

De toutes les charges qui, en 1789, grevaient si lourdement et, en grande partie, si inutilement, les finances de la France, il n'en est pas qui aient prêté à plus d'inexactitudes et de fausses interprétations que celles des gouverneurs généraux militaires des provinces. Si l'on ne consultait que la plupart des ouvrages spéciaux et des dictionnaires d'histoire récemment publiés, il serait impossible de s'entendre, non seulement sur les attributions, mais encore sur le nombre des titulaires de ces charges à la fin de l'ancien régime.

Il ne peut entrer dans le cadre de cette rapide étude de faire une enquête sur les modifications successivement apportées à l'état, au nombre, aux fonctions même, quelque restreintes qu'elles fussent, des gouverneurs généraux des provinces, enquête qui serait d'autant plus laborieuse et difficile que le pouvoir royal ignorait lui-même et le ressort et l'étendue des provinces de certains gouverneurs généraux. Il serait fastidieux sans doute, ne pouvant donner aucune preuve de l'intention, de dire que l'autorité royale favorisait des incertitudes et des obscurités qui servaient si bien ses désordres, mais ce qui ressort avec la dernière évidence des simples faits, c'est l'exploitation constante, depuis plus d'un siècle, de la vanité la plus puérile, à l'aide des édits bursaux, conférant à l'aventure des titres sans fonctions. Quand il s'agissait de vendre ces charges, les plus belles promesses ne coûtaient guère: prérogatives, honneurs, dignités devaient être innombrables et assurés; mais, quand on en venait au fait, quelque fâcheux privilège antérieurement concédé intervenait presque toujours pour mettre obstacle à la réalisation des promesses. D'autre part, comme ce titre de gouverneur général était très honorable et très recherché, il arriva, dans la pratique, que d'autres gouverneurs que les gouverneurs généraux, de simples gouverneurs de ville par exemple, voulurent s'assimiler aux gouverneurs généraux et se mêler notamment des affaires de la convocation. Ainsi, à la veille de la Révolution, il se découvre de toutes parts des gouverneurs qui soulèvent d'étranges prétentions. L'un d'eux écrit au secrétaire d'État de la maison du roi: "J'ai le malheur, Monseigneur, d'être un de ceux qui, se confiant trop légèrement sur les termes précis de l'arrêt du conseil du 1er juin 1766, ai acquis l'office de gouverneur de Pont-de-Vaux, mais je ne regretterais pas mes finances, si j'étais rétabli dans les droits et prérogatives de cet office."

De même que l'on avait vu au XVIe siècle un archevêque d'Aix pourvu de la charge de gouverneur de Paris et de l'Ile-de-France, et au commencement du XVIIe siècle des femmes gouverneurs ou commandants pour le roi, on voit en 1789 des réclamations basées sur de pareils droits émaner de membres du clergé. L'abbé de Bardonnet écrit au garde des sceaux le 23 janvier 1789: "Je suis gouverneur de la ville de Souvigny. Ce gouvernement militaire a été vacant depuis la mort de M. le cardinal de Bourbon: c'est de ce dernier titulaire dont on a daté pour me le faire passer. Il fallait une distinction particulière en ma faveur, le roi Louis XV a eu la bonté d'admettre cette distinction. Le prieur de Souvigny à toujours joui du droit de faire battre monnaie. L'auguste maison de Bourbon était adjointe au prieur de Souvigny, qui jouissait de la souveraineté. La loi m'assure le droit d'assister et d'avoir voix délibérative aux États généraux."

Nous ne citons ces exemples, qu'il serait aisé de multiplier, que pour montrer la confusion qui régnait alors, au siège même de la certaine science, sur les droits et les pouvoirs des charges de gouverneurs, pris au sens le plus général. On conçoit aisément, par suite, que certaines divergences dans les appréciations se rencontrent chez les auteurs qui ont traité ces questions; mais ce qui est inadmissible, c'est la prétention de donner, en dehors d'actes correspondant à des dates précises, des formules positives et absolues.

Il est hors de doute, par exemple, que les limites des gouvernements généraux étaient mal définies ou, pour tout dire, ne l'étaient pas du tout. Comment en eut-il pu être autrement? Après la lutte soutenue à la fin du XVIe siècle et pendant la première partie du XVIIe contre le pouvoir des anciens gouverneurs, la monarchie triomphante fut toujours dominée par le souvenir des périls encourus et par la crainte de les voir renaître. Les charges de gouverneurs généraux des provinces, lieutenants généraux des provinces, lieutenants de roi, etc., étaient du ressort du département de la guerre ou de celui de la maison du roi, suivant que les provinces intéressées relevaient elles-mêmes de l'un ou de l'autre de ces ministères. En réalité, elles ne pouvaient être considérées que comme des pensions, au sens employé autrefois, de véritables grâces; c'est le mot, d'ailleurs, de l'ordonnance du 18 mars 1776. Comment, dans ces conditions, eût-on songé, sous un régime où la précision était inconnue, à donner des limites territoriales exactes à des grâces, à des pensions? Certains droits locaux étaient sans doute attachés à ces charges, mais l'usage seul les fixait.

Les auteurs contemporains n'ont pas toujours été en ce sujet moins téméraires que leurs aînés. C'est qu'ils ont négligé l'ordonnance royale qui fixa le dernier état des gouvernements généraux et charges annexes. Cette ordonnance, datée du 18 mars 1776, est intitulée: "Ordonnance du roi portant règlement sur les gouvernements généraux des provinces, gouvernements particuliers, lieutenances de roi ou commandements, majorités, aides et sous-aides-majorités de villes, places et châteaux, et qui, en déterminant différentes classes, affecte particulièrement chacune d'elles aux différents grades militaires."

Le dernier état des gouvernements généraux militaires se trouve de fait fixé par cette Ordonnance. Deux considérations importantes sont à examiner qui, historiquement, se lient: les droits précis des gouverneurs généraux militaires, les limites territoriales de ces gouvernements. Sous le règne de Louis XIV, c'était une faveur difficile à obtenir pour un gouverneur général d'aller remplir sa charge. Saint-Simon, à propos des troubles de Normandie, écrit; "Voysin et sa femme, amis de M. de Luxembourg, saisirent cette occasion de lui procurer l'agrément, devenu si rare à un gouverneur de province, d'y aller faire sa charge." (Éd. Cheruel, in-8°, t. VIII, p. 266.) Le caractère de grâces, de pension ressort, en ce temps même, non seulement des textes des édits et déclarations royales, mais des faits eux-mêmes. On ne trouvait plus peut-être de femmes titulaires de gouvernements comme au début du XVIIe siècle, mais on voit que, en 1682, le duc du Maine fut pourvu du gouvernement de Languedoc à l'âge de douze ans; en 1689, le comte de Toulouse fut pourvu du gouvernement de Guyenne à l'âge de onze ans (cf. Saint-Simon, t. XI, p. 135). Les gouvernements, même en survivance, constituaient alors non seulement une source de revenus, mais une propriété réelle que l'on transmettait à ses héritiers et que l'on pouvait même vendre au besoin. Sur ce point encore Saint-Simon nous éclaire: "Le duc de Noailles, écrit-il, avait eu en se mariant la survivance des gouvernements de Roussillon, de son père, et du Berry, de son beau-père; mais ce dernier, à condition de le vendre dès qu'il lui serait tombé et d'en placer le prix comme partie de la dot de sa femme. Le cas arrivé, il ne put trouver marchand. L'inquiétude d'en répondre sur son bien, en cas de mort, et que le gouvernement fût donné gratuitement, le fit songer à un brevet de retenue qui le tira d'embarras. Il en parla à Mme de Maintenon...", etc. (Mémoires, Éd. Cheruel, t. VIII, p. 79.) C'est donc une erreur (et l'erreur est commune) de croire que la charge de gouverneur général militaire entraînait pour son possesseur une fonction quelconque, militaire ou autre. C'était un revenu, un produit, une pension d'un titre plus relevé que les autres et rien de plus, et, bien que l'idée de revenu implique l'idée de ressort, aucun ressort précis, comme nous l'entendrions aujourd'hui, n'était fixé. On le voit dans le préambule de l'ordonnance de 1776: "Sa Majesté, y lit-on, a pensé que les gouvernements généraux et particuliers, les lieutenances de roi des places, les majorités, aides et sous-aides-majorités étant des grâces militaires... ces grâces devaient être la récompense des talents, des longs services...; convaincue d'ailleurs que toutes les parties de l'administration doivent avoir des règles fixes, Sa Majesté s'est déterminée à la prescrire à sa bienfaisance même..." Cet étal de simple grâce militaire ressort mieux encore de la situation qui, après les longues luttes dont nous avons parlé ci-dessus, avait été faite à la fin de l'ancien régime aux gouverneurs généraux. Le roi s'était bien réservé de confier à ces gouverneurs généraux des commandements dans les gouvernements qu'ils possédaient, "soit dans les provinces dont ils sont gouverneurs, soit dans une autre." porte l'ordonnance de 1776, et, en 1789, nous voyons que le maréchal de Broglie dans les Évêchés et le maréchal de Stainville étaient pourvus de semblables commandements; mais il ne faut pas oublier qu'ils ne pouvaient exercer leur charge sans une permission expresse du roi et que, sans cette même permission, ils n'avaient pas le droit de se rendre dans leurs gouvernements. Une ordonnance de 1750, qu'il faut connaître, parce que certaines clauses n'ont pas été annulées par celle de 1776, portait (article 1er): "Les gouverneurs et lieutenants généraux des provinces, lorsque Sa Majesté leur permettra d'exercer leur charge", y auront la même autorité", etc. Les permissions nécessaires, non pour exercer cette charge, mais pour se rendre seulement dans les gouvernements, étaient difficiles à obtenir. Les gouverneurs généraux furent chargés, en 1789, de transmettre aux grands baillis et sénéchaux d'épée, par l'intermédiaire de la maréchaussée, les lettres royales et les autres pièces relatives à la convocation; mais on chercherait vainement dans les lettres qui leur furent adressées par le roi à ce sujet une allusion soit à une fonction possible, soit à un séjour dans leurs gouvernements. Le fait suivant que nous révèle la convocation est, à ce point de vue, très frappant: Le comte de Peyre, gouverneur général du Bourbonnais et particulier des villes de Moulins et de Bourbon-l'Archambault, joignait ces charges à celle de grand sénéchal d'épée du même pays. Or, au titre de sénéchal d'épée, il était chargé, par le roi, de présider à tous les actes de la convocation; mais, au titre de gouverneur général, il ne pouvait se rendre dans son gouvernement et il dut écrire à son lieutenant général le 9 février 1789: "Ne pouvant, comme gouverneur du Bourbonnais, me rendre à Moulins sans une permission expresse du roi, il ne m'est pas permis d'aller remplir les fonctions de sénéchal."

Cette situation n'était pas ignorée en France en 1789; elle soulevait des plaintes que l'on retrouve dans presque tous les cahiers: "Il faut supprimer les places qui n'ont point de fonctions, comme les gouvernements et les commandements militaires dont l'inutilité est prouvée par la défense faite aux gouverneurs et aux commandants de se mêler de rien dans leur province et même d'y faire un voyage s'ils n'y sont autorisés par des ordres particuliers." (Cahier du tiers état de Nemours, Arch. nat., B III, 95, p. 792.) La noblesse de la Rochelle expose très vivement ses sentiments sur cette matière; après avoir signalé "l'énormité des charges que la province supporte" (suit le texte de ces charges du fait du gouverneur), le cahier continue ainsi: "L'ordre de la noblesse... osera proposer que le traitement accordé à des places qu'on ne voit jamais remplies par la résidence soit destiné à maintenir l'activité de ceux qui résident et que l'armée morte entretienne en partie l'armée vivante."

L'affaire des limites des gouvernements est liée, avons-nous dit, à celle des droits des gouverneurs; depuis, en effet, que le pouvoir royal était parvenu à réduire si complètement les fonctions et les droits des gouverneurs généraux, il s'était bien gardé, dans les actes publics qui les concernaient, de délimiter un domaine dans lequel il préférait les incertitudes, les indécisions, les démêlés même, à des précisions qui eussent pu être matière à prétentions nouvelles. M. de Boislisle l'a déclaré dans la savante Introduction jointe aux Mémoires des Intendants: "Les limites des gouvernements militaires, dit-il, étaient mal définies"; suivent les preuves. Le pouvoir royal n'était pas fixé, non seulement sur les limites des gouvernements, mais sur leur étendue relativement à de grands territoires. Dans la correspondance ministérielle relative à la convocation, conservée aux Archives nationales, on relève cette note: "Le gouvernement de Metz s'étend-il sur le Clermontois? Point très douteux." (Ba, 39.) La réponse à cette demande n'est pas connue, mais la vérité est que le Clermontois, qui appartenait au prince de Condé, ne dépendait d'aucun gouvernement général.

Donc, fonctions purement nominales des gouverneurs généraux, limites indécises des territoires qui leur sont nominalement soumis, tels sont les deux caractères principaux des gouvernements généraux militaires en 1789. Les pouvoirs militaires et politiques, attribués à tort maintenant aux gouverneurs généraux militaires des provinces, appartenaient en 1789 aux Commandants en chef et en second, qui n'étaient pas d'institution récente, mais dont la situation avait été fixée par l'Ordonnance du 17 mars 1788 portant règlement sur le commandement dans les provinces: "Il y aura, y lit-on, dans toute l'étendue du royaume, y compris l'île de Corse, dix-sept commandements en chef." Le nombre de ces commandements en chef, le titre même de la fonction témoignent bien, d'une part que les gouverneurs généraux n'avaient pas de commandement réel, d'autre part qu'aucunes relations, quant aux ressorts, ne peuvent être établies entre deux organisations très différentes.

Les places de gouverneurs, lieutenants généraux des provinces, lieutenants de roi, majors et autres, furent supprimées, à compter du 1er janvier 1791, par la loi du 20 février 1791, sanctionnée le 25 février. Les détails qui précèdent pourraient être confirmés, si cela était nécessaire, par le "Rapport présenté au nom du Comité militaire et du Comité des pensions réunis" qui prépara le vote de la loi. Les extraits suivants peuvent en témoigner: "Tous ces offices ou commissions (de gouverneurs, lieutenants généraux des provinces, lieutenants de roi, etc.) avaient deux caractères communs: l'un, d'assurer à leurs titulaires des appointements, des gages, des émoluments de différents genres; l'autre, de ne leur imposer aucune fonction nécessaire à remplir. On pourrait dire plus: ces titres rendaient inhabile à remplir les fonctions que leur dénomination indiquait, puisqu'il était défendu aux gouverneurs, lieutenants généraux, lieutenants de roi, d'exercer aucun commandement dans les provinces ou dans les places sans une commission spéciale, qui non seulement était indépendante de la qualité de gouverneur, mais même à laquelle la qualité de gouverneur mettait quelquefois des obstacles. Les appointements portés sur les rôles, soit du Trésor public, soit des ci-devant pays d'États, soit des autres provinces, étaient des gages attachés par l'autorité publique au titre qui subsistait; il n'en était pas de même des émoluments. C'étaient des profits que les gouverneurs et lieutenants généraux s'étaient attribués sous différents prétextes, par exemple une bûche sur le bois qui entrait dans la ville, parce qu'il fallait que la porte fût ouverte pour le passage des voitures, et que la porte était censée ouverte par l'ordre du gouverneur. Les gouverneurs ne sauraient être payés de ces émoluments. Dans deux cas seulement, ils peuvent prétendre à une indemnité; dans le premier cas, lorsque le gouvernement avait été accordé comme récompense de grandes actions ou comme une retraite après de longs services. La récompense ordinaire était la pension; une récompense plus distinguée était la promotion à un gouvernement ou à une lieutenance. De ces nominations, les unes étaient données au mérite, d'autres étaient obtenues par faveur. C'est pourquoi l'on ne doit pas accorder une indemnité à toute personne indistinctement qui possède un gouvernement ou une lieutenance. Dans un second cas, les titulaires peuvent réclamer une indemnité: c'est celui où ils sont porteurs de brevets de retenue accordés dans les circonstances que la loi du 1er décembre dernier a spécifiées. Leur titre étant supprimé, l'indemnité de ce qu'ils ont déboursé pour l'obtenir leur est acquise et elle doit leur être payée."

Les six articles de la loi du 20 février 1791 déterminent dans quelles conditions doivent se faire les remboursements de ces brevets de retenue et les formalités à remplir pour obtenir les pensions accordées en compensation des services militaires.

On trouvera, dans la liste annexée à cette loi, la mention des indemnités accordées aux titulaires des gouvernements et autres charges en exécution de cette loi.

Les gouvernements généraux militaires ont fait l'objet de si nombreux travaux que nous ne pouvons songer à donner ici une bibliographie de la question, qui ne pourrait qu'être imparfaite; il convient, cependant, de signaler deux documents manuscrits peu connus, qui contiennent, à une date relativement rapprochée de la Révolution, des détails circonstanciés sur cette matière. C'est d'abord l'État de toutes les places du royaume avec les appointements et émoluments de Messieurs les gouverneurs et lieutenants du Roi, manuscrit relié, format in-16, daté de 1750, et conservé aux Archives nationales (M, 643); ensuite l'État des gouvernements tant généraux que particuliers militaires et autres du royaume de France, manuscrit contenant à chaque page des enluminures de mauvais goût, mais conçu sur le même plan que le précédent, et contenant d'intéressants détails sur l'état des choses en 1758; une note de la première page porte in fine ces mots: fait par moi, Benoît Dupont, Paris, 6 juillet 1823. Il est conservé à la Bibliothèque nationale (mss. f. fr. n° 6461).