Les Métiers et Corporations de la ville de Paris - Étienne Boileau

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Histoire générale de Paris - Les Métiers et Corporations de la ville de ParisXIIIe siècle - Le Livre des Métiers d'Étienne Boileau - Introduction (extraits)

Classement des métiers et résumé des statuts des communautés ouvrières

GROUPES

Alimentation, Farines, Boissons, Épicerie et vivres en général

Orfèvrerie, Joaillerie, Sculpture

Métaux, Ouvriers en fer, Ouvriers en métaux divers, Objets divers de fantaisie, Armures

Étoffes et Habillements, Soie, Draps et Lainages, Toiles, Vêtements, Friperie

Cuirs et Peaux, Chaussures et Vêtements, Sellerie et Harnachement

Bâtiment et Métiers divers, Poteries, Étuviers et Chirurgiens

1er GROUPE

ALIMENTATION

FARINES

Le chapitre des Talemeliers est avec les titres des Tisserands et des Fripiers, celui qui, dans les Registres des métiers, offre le plus de développements. Il touche à presque tous les points de la réglementation de communautés ouvrières, tandis que, dans les paragraphes affectés aux autres métiers, les rédacteurs paraissent s'être bornés à l'indication de quelques usages. (Talemeliers, boulangers. Le mot Talemelier est le seul employé dans ces statuts; ce qui prouve qu'il était le plus en usage chez les gens du métier. Les mots latins panetarii, pistores, bolengarii, employés dans les siècles précédents, ne se retrouvent plus ici. Les mots panetier, ou grand panetier, ne paraissent plus que pour exprimer le titre du dignitaire chargé de la paneterie à la cour du Roi. Quant au mot Talemelier, dont l'étymologie est douteuse, il disparut lui-même assez vite des documents législatifs, pour faire place à celui de Boulanger, seul employé aujourd'hui.)
Le Registre se compose de soixante et un articles. Il commence par établir la condition des Talemeliers. Ceux qui habitent la terre du Roi doivent «acheter le métier», c'est-à-dire payer une certaine somme pour obtenir l'autorisation d'ouvrir une boulangerie. Ceux qui demeuraient sur les terres seigneuriales se trouvaient dans une situation à part.
Les habitants de Paris n'étaient pas, comme aujourd'hui, soumis à une seule et même autorité. Chacun était régi par les lois du seigneur de son quartier. Les abbayes qui ont formé les bourgs Saint-Germain, Saint-Marcel, Sainte-Geneviève, le bourg l'Abbé, la ville l'Évêque, etc., constituaient autant de petites principautés enclavées dans le territoire royal. L'Évêque de Paris, par exemple, maître presque absolu de la Cité et d'une partie des bords de la Seine, ressemblait à un souverain entouré de ses sujets. Les Talemeliers établis sur ces terres ne participaient ni aux charges ni aux avantages de l'administration royale; mais ils étaient libres de s'y conformer, sur leur simple déclaration. Nous n'insisterons pas sur les circonscriptions des terres ecclésiastiques; leur étendue a beaucoup varié par suite de donations successives.
Les droits établis sur le commerce de la boulangerie étaient compris sous le nom de: Hauban, Tonlieu, Coutume.
La redevance du hauban se payait le 11 novembre. Avant Philippe-Auguste, chaque Talemelier devait donner un muid de vin, ou la valeur de ce muid; mais des difficultés s'étant élevées avec les Échansons royaux chargés de percevoir ce droit, une ordonnance du Roi fixa le taux annuel de cet impôt à six sous.
Le hauban supprimait les complications de l'impôt dû pour l'achat des farines, pour l'achat et la vente des porcs et autres animaux que les Talemeliers nourrissaient avec les résidus; il donnait droit au partage des marchandises entres Talemeliers, lorsqu'ils assistaient à la conclusion d'un marché.
Le tonlieu, ou impôt de vente, se payait par semaine, en deux parties: chaque Talemelier donnait les mercredis un pain de moyenne grosseur, appelé demie de pain, et le samedi, un denier. Toutefois, s'il n'y avait pas de pain à sa fenêtre, ou dans son four, le Talemelier ne devait ni pain ni argent. Les statuts ajoutent, pour bien établir les conditions de cet impôt, que l'Évêque de Paris a, comme sur tous les revenus, sa tierce semaine de perception, et que le Roi a cédé sa part à un chevalier.
La coutume était perçue en trois termes. Chaque Talemelier payait à Noël 10 deniers; à Pâques, 22 deniers; à la Saint-Jean, 5 deniers et obole; en tout 37 deniers et une obole.
Dans chaque boutique il y avait un maître valet, appelé joindre ou jindre, puis des aides ou valets, appelés vanneurs, bluteurs, pétrisseurs.
Celui qui voulait passer Maître devait faire une sorte de stage de quatre années, pendant lequel il payait 25 deniers de coutume en plus, à Noël. A chaque payement, il se faisait marquer, sur son bâton, une coche par l'officier receveur de la coutume; quand il avait ses quatre coches, il était en règle, et l'on pouvait alors procéder à son installation.
Les textes mentionnent trois formes de pain: le doubleau, qui se vendait deux deniers; la demie, qui coûtait une obole, et la denrée, un denier. Ces pains ne différaient entre eux que par leur grosseur. On ne devait trouver chez les Talemeliers, fournisseurs de la classe ouvrière, qu'une seule espèce de pain; ou, s'ils en faisaient d'autres, ces pains étaient considérés comme pains de fantaisie et par conséquent exempts de taxe (gâteaux et échaudés). Le Wastelier ou Gastelier, était le fabricant de gâteaux (wastels), pains plus gros et plus soignés et plus délicats. Les échaudés étaient au contraire plus petits que les pains ordinaires et plus négligés.
Pour être Maître Meunier, il fallait avoir un moulin en toute propriété ou en fermage. Le Meunier pouvait entretenir un nombre illimité d'apprentis et travailler la nuit.
Les Blatiers étaient comme aujourd'hui, des marchands de grains en détail; ils ne vendaient directement que jusqu'à concurrence d'un setier; pour une plus grande quantité, ils devaient recourir à l'entremise des Mesureurs Jurés.

BOISSONS

Les Mesureurs de blé, les Crieurs et les Jaugeurs, étaient, avec les Taverniers, les seuls métiers relevant de la Prévôté des Marchands. Le Prévôt des Marchands tenait ces métiers, à titre de fief, par don spécial du Roi; il touchait les droits à payer pour la livraison et la vérification des mesures.
Les Mesureurs, Crieurs et Jaugeurs ne fabriquaient aucun objet, ne vendaient aucune marchandise et n'avaient ni atelier ni boutique; leur rôle se bornait à servir de garant intermédiaire entre les marchands et les acheteurs, pour le prix, la qualité, le mesurage.
Les Mesureurs prenaient quatre deniers pour mesurer un muid de grain, dans un grenier ou un bateau. Pour mesurer au marché, selon la quantité que chacun désirait, ils se faisaient payer au taux de six deniers par muid. Le mesurage d'une charretée de grains coûtait quatre deniers; celui d'un char, huit deniers et celui d'une charge de cheval, un denier.
Les Jaugeurs étaient chargés de faire, sur les liquides, la même opération que les Mesureurs pour les grains. Ils touchaient deux deniers par tonneau et devaient se rendre, à toute réquisition, dans la banlieue de Paris, à quelque distance que ce fût, sous la seule condition de se faire fournir un cheval et la nourriture. Le prix était doublé quand il s'agissait de jauger un tonneau de miel, soit que ce fut une denrée plus chère, soit que l'opération soit plus longue.
Les criages étaient des annonces de prix et de marchandises publiées dans la ville, au nom des commerçants. On trouve à Paris, dès le XIIe siècle, des crieurs de peaux et de cuir, des crieurs de gaufres et d'oublies. Toutefois ces gens étaient en même temps fabricants et se bornaient à crier leur marchandise.
Les véritables Crieurs étaient les Crieurs de vins, les seuls, d'ailleurs, qui soient enregistrés dans les statuts des Métiers.
Il est vraisemblable que les Taverniers ont commencé à se servir librement et gratuitement des Crieurs, pour faciliter le débit de leurs vins.
Tout le monde pouvait être Tavernier, à la seule condition d'être assez riche pour payer le droit de chantelage, l'impôt des mesures. Les Taverniers répondaient à peu près à nos marchands de vins d'aujourd'hui, donnant à boire sur leur comptoir et vendant du vin à domicile.
Il ne faut pas confondre les cabarets avec les tavernes. «Dans les tavernes, dit De Lamare, l'on y doit vendre vin à pot, de même que dans les caves des gros marchands de vin; dans les cabarets, l'on y met la nappe et des assiettes, et avec le vin l'on y donne à manger...».
Le commerce des vins en détail était très important; le Roi lui-même avait adopté ce moyen pour écouler plus vite et à meilleur compte le produit de ses vignobles. On sait que le territoire d'Orléans, en grande partie couvert de vignes, appartenait à la Couronne, qui en touchait directement les revenus.
La boisson qui semble avoir été la plus en usage, après le vin, s'appelait la cervoise; ceux qui la fabriquait, Cervoisiers. Faite avec de l'eau et des grains, elle offrait beaucoup d'analogie avec notre bière, qui ne contient en plus que du houblon. Il était interdit de lui donner du goût avec des baies de fruits, du piment ou de la résine, parce qu'on trouvait ces ingrédients pernicieux pour la santé.

ÉPICERIE ET VIVRES EN GÉNÉRAL

En dehors de l'importante communauté des Bouchers, qui n'a point fait enregistrer ses statuts dans le livre d'Étienne Boileau, le commerce des vivres était en grande partie concentré dans les métiers que nous groupons sous ce chapitre.
La communauté des Regrattiers était fort considérable; elle comprenait les revendeurs de vivres et comestibles tels que: pain, sel, poisson de mer, oeufs et fromages, volailles et gibier; puis toutes les denrées que l'on vendait à la livre et qu'on appelait, pour cette raison, des avoirs-de-poids.
Les deux grandes catégories des Regrattiers de pain et de sel remplissent le titre IX; les Regrattiers du titre suivant n'en sont qu'une subdivision, en ce sens que le titre ne concernent que les revendeurs de fruits et de légumes, dont l'ail, l'oignon et l'échalote.
Les Huiliers fabriquaient de l'huile d'olive, d'amandes, de noix, de chènevis et de pavots.
Les Cuisiniers étaient établis pour vendre au peuple des viandes communes et de bas prix, qu'ils préparaient de diverses manières, soit bouillies, soit rôties. On les appelait Cuisiniers, du mot cuisine, employé dans le sens de viande accommodée, et aussi Oyers, parce que les oies étaient les volailles dont le peuple faisait la plus grande consommation. Les étaux des Cuisiniers marchands d'oies, ouverts dans un quartier des Halles, ont donné leur nom à la rue «aux Oues», transformé aujourd'hui, par une erreur grossière, en rue «aux Ours».
Les prescriptions relatives à la qualité des viandes méritent d'être citées: Nul ne doit cuire ou rôtir des oies, du boeuf, du mouton, du veau, de l'agneau, du chevreau ou du cochon, si ces viandes ne sont pas loyales et de bonne moelle. Nul ne doit garder plus de trois jours des viandes cuites, qui ne sont pas salées. On ne doit faire des saucisses qu'avec de bonne chair de porc. Quant au boudin de sang, que personne ne puisse en vendre, «car c'est périlleuse viande.»
Les marchands de volailles, dit Poulaillers, n'étaient qu'une fraction du nombreux métier des Regrattiers. Afin d'éviter autant que possible la vente des viandes de mauvaise nature, on interdisait aux Poulaillers le colportage, et l'on assignait, comme seuls endroits de vente, le marché de la porte Saint-Denis et de la rue Notre-Dame pour tous les jours, le marché des Halles des Champeaux pour le samedi.
Le commerce du poisson formait trois communautés, dont les statuts sont rangés à la fin du recueil d'Étienne Boileau. C'étaient les Pêcheurs de la Seine, les Marchands de poisson d'eau douce et les Marchands de poisson de mer.
Nous plaçons à la suite des métiers de l'alimentation deux statuts d'ouvriers qui vendaient et fabriquaient des produits qui en dérivent ou s'en rapprochent: les Chandeliers et les Feiniers.
L'apprentissage pour la fabrication des chandelles était de six ans. Tout individu arrivant à Paris, qui voulait entrer dans le métier, devrait prouver qu'il avait fait ces six années.
La fabrication de chandelles était l'objet d'une surveillance scrupuleuse de la part des quatre Jurés du métier. La fraude se faisant surtout par le mélange de mauvaises graisses avec le suif, on défendait tous rapports entre Chandeliers et Regrattiers, parce que ceux-ci cherchaient à utiliser leurs résidus dans la fabrication des chandelles.
Le foin arrivait par eau et se vendait soit par bateau, soit en grange. Le métier se composait de trois classes d'individus, qui devaient rester chacun dans leur spécialité: les marchands de foin, les courtiers et les porteurs, qui faisaient office de crieurs pour inviter les amateurs à venir voir la marchandise.