ORNEMENTS EXTERIEURS par M. Jouffroy d'ESCHAVANNES

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Extrait du livre de Jouffroy d'Eschavannes : Traité complet de la Science du Blason à l'usage des Bibliophiles,
Archéologues, Amateurs d'objets d'art et de curiosité, Numismates, Archivistes
PARIS - Librairie ancienne et moderne - Edouard Rouveyre - 45, rue Jacob, 45 - 1885

TRAITE DU BLASON

ORNEMENTS EXTERIEURS DE L'ECU, TIMBRES, CASQUES ET HEAUMES

COURONNES

LAMBREQUINS, MANTELETS ET BOURRELETS

CIMIERS

SUPPORTS ET TENANTS

CRI D'ARMES, DEVISES ET PAVILLONS

CRI D'ARMES, DEVISES ET PAVILLONS

LE CRI

e cri d'armes ou de guerre se prend pour certains mots qu'une nation, une ville, une maison illustre portaient écrits sur leurs bannières. Il servait autrefois de signal, soit pour livrer le combat ou se reconnaître dans la mêlée, soit pour rallier les troupes et ranimer leur courage; les chevaliers s'en servaient aussi dans les joutes et les tournois. Ce cri, fort en usage chez les Français et les autres peuples de l'Europe, n'était qu'une coutume renouvelée des peuples anciens, puisqu'on trouve au chapitre VII du livre des Juges le cri que Gédéon donna pour ralliement aux soldats qu'il menait contre les Madianites, et qui consistait en ces mots: Au Seigneur et à Gédéon.

Parmi les modernes, le cri de guerre n'appartenait qu'aux chevliers ayant droit de porter bannière. Il y avait donc dans une armée autant de cris que de bannières; mais, outre ces cris particuliers, il y en avait un général pour toute l'armée; c'était celui du roi ou du commandant en chef. Le cri général se faisait unanimement par tous les soldats ensemble au moment de la mêlée, tant pour implorer l'assistance du ciel que pour s'animer au combat; tandis que les cris particuliers n'avaient d'autre but que de rallier chaque homme d'armes sous la bannière de son chef immédiat.

Le cri des rois de France est Mont-Joie Saint-Denis! Raoul de Presles, qui vivait sous Charles V, dit que Clovis combattant dans la vallée de Conflans-Sainte-Honorine, la bataille s'acheva sur la montagne où était une tour appelée Mont-Joie. Robert Scenel, évêque d'Avranches, dit que Clovis, se trouvant en danger à la bataille de Tolbiac, un peu avant d'embrasser la religion chrétienne, invoqua Saint-Denis sous le nom de Jupiter en criant: Saint-Denis! mon Jove! d'où on fit ensuite Mont-Joie.

Les anciens auteurs n'ont point donné la véritable origine de ce cri, et l'opinion la plus accréditée aujourd'hui est celle d'Huguet de Saint-Cher, qui rapporte que les pèlerins avaient coutume d'appeler Mont-Joie des monceaux de pierres sur lesquels ils plantaient des croix: Constituunt acervum lapidum, et ponunt cruces, et dicitur Mons-Gaudii. Del Rio atteste la même chose des pèlerins de Saint-Jacques en Galice. Il existait une grande quantité de monts-joie sur la route de Saint-Denis, et quand on allait chercher l'oriflamme que nos rois y avaient déposée on criait sur toute la route: Mont-Joie Saint-Denis! Ce cri était répété à la guerre, et devint ainsi celui des rois de France. La date de cette coutume ne remonte pas plus loin que Louis-le-Gros, et ceux qui l'ont attribuée à Clovis ont commis une grave erreur, puisque après sa conversion on porta dans les armées la bannière de Saint-Martin de Tours comme étendard royal.

Les cris étaient de différentes sortes: il y en avait d'invocation comme: Dieu aide; - Notre-Dame; - Mont-Joie.

De résolution, comme celui des croisés: Diex le volt', Dieu le veut.
D'exhortation: A la rescousse Montoison. - Au plus dru.
De défi: Place à la bannière!
De terreur: Au feu! au feu! - Chevaliers pleuvent!

Enfin beaucoup de familles criaient leurs noms, tels que d'Ailly, d'Amboise, d'Aspremont, Bauffremont, de la Baume, Beaumont, Beauveau, Bellecombe, Béthune, Blamont, Bournonville, Bury, Créquy, Chateaubriand, Chateauneuf, Chatillon, Clermont, Damas, Duras, Gamaches, Gaucourt, Groslée, du Guesclin, Hangest, Joinville, Lenoncourt, Lignières, Mailly, Malestroit, Maubet, Montchenu, Noyers, Ray, Renty, Rochechouart, Rohan, Sassenages, Saveuses, la Trémouille, Vergy, etc., etc.

D'autres criaient les noms de maisons d'où ils étaient sortis: ainsi,

Mony: Saucourt!
Jars: Rochechouart!
Saint-Paul: Lezignan!
Les seigneurs de Beaujeu: Flandres!

Tous les anciens gentilshommes de Lorraine qui avaient des croix dans leurs armoiries criaient: Preny; ceux qui avaient des bandes criaient Couvert; des anneaux: Loupy, etc.

Le cri composé du nom de la famille appartenait toujours à l'aîné, et les puînés ne pouvaient le prendre qu'en y ajoutant le nom de leur seigneurie.

Dans les tournois, c'étaient les hérauts d'armes qui faisaient le cri, lorsque les chevaliers entraient en lice.

Le cri se place ordinairement au-dessus du cimier des armoiries dans un listel ondoyant aux couleurs de l'écu.

LA DEVISE

La devise est une sentence de peu de mots; espèce de proverbe qui, par allusion, fait connaître la noblesse ou les actions mémorables d'une famille. C'est encore un emblème consistant dans la représentation de corps naturels ou artificiels, ou en quelques mots qui l'appliquent dans un sens figuré à la louange d'une personne. Le mot devise comprend les chiffres, les rébus, les sentences et les proverbes.

L'usage des devises et des symboles remonte à la plus haute antiquité, et l'on pourrait facilement y voir la véritable origine des armoiries. La tragédie d'Eschyle ayant pour titre: Les Sept Preux devant Thèbes, et celle d'Euripide intitulée: Les Phéniciens, témoignent de cette antiquité. Dans la description que ces deux poètes font des principaux capitaines que Polynice avait engagés dans sa querelle, et qui le suivirent au siège de Thèbes, ils leur donnent comme à lui des boucliers chargés de figures symboliques. Le premier que nomme Eschyle est Tydée qui portait sur son bouclier l'image de la mort, ou, selon Euripide, la dépouille d'un lion. Capanée est le second; Eschyle lui donne un Prométhée, la torche à la main, avec ces mots: Je réduirai la ville en cendres.

Dans Euripide, c'est un géant qui porte sur ses épaules et secoue la masse de la terre. Polynice porte sur son bouclier la déesse Justice qui le conduit, et ces mots: Je te rétablirai.

Les orateurs et les poètes de l'antiquité ont presque autant de devises qu'ils ont de métaphores, à prendre la devise dans son essence. Les lettres S.P.Q.R., qui sont encore aujourd'hui la devise de la ville de Rome, sont les initiales des mots Senatus populus que romanus. Le fameux Judas Asmonéen, si zélé pour la défense de la loi de Dieu et pour la liberté de la Judée, mit sur ses enseignes et sur ses étendards les lettres initiales d'une sentence hébraïque, prise au chapitre XV, V. 2. de l'Exode: Qui est semblable à toi, ô Seigneur, parmi les dieux. Or, comme les lettres initiales de ces mots forment en hébreu MACCABI, les chefs ou rois des juifs de la race asmonéenne furent nommés Macchabées.

Il ne faut que lire l'histoire et les vieux romans pour y remarquer les devises chiffrées et brodées sur les habits, avec diverses figures d'oiseaux et d'animaux dont on a fait depuis des armoiries. Ces devises ne faisaient point partie du blason, et Boswel se trompe quant il attribue à des armoiries semblables la cause de la querelle entre Jean Chandos et Jean de Clermont. Ces deux chevaliers portaient des armoiries bien distinctes, et la cause de leur querelle fut une devise qu'ils portaient tous deux en honneur de la même dame.

Froissart raconte ainsi cette querelle: "Aucuns chevaliers, tant français qu'anglais chevauchèrent en costoyant les batailles pour adviser chacun le convenant de ses ennemis, dont il advint que monseigneur Jean Chandos avait, ce jour, chevauché et costoyé à la bataille du roi de France sur aisle. En telle manière avait chevauché monsieur Jean de Clermont, l'un des maréchaux de France, en imaginant l'état des Anglais. Et a donc si comme ces deux chevaliers retournaient chacun devers son costé, ils s'entre-rencontrèrent, si portaient chacun d'eux une même devise d'une bleue dame ouvrée d'une bordure ray de soleil; et toujours dessous leurs haux vêtements en quelque état qu'ils fussent, si dit monseigneur de Clermont: Chandos, depuis quand avez-vous emprins à porter ma devise? Mais, vous, la mienne, répondit Chandos; car autant bien est-elle mienne comme vôtre? Je le vous nie, dit monseigneur de Clermont, et si la souffrance ne fut entre les vôtres et les nôtres, je vous montrasse tantôt que vous n'avez nulle cause de la porter. Ha! dit monseigneur Jean Chandos, vous me trouverez demain tout appareillé de défendre et de prouver par fait d'armes qu'aussi bien est-elle mienne comme vôtre. Monseigneur Jean de Clermont dit: Chandos, se sont bien les paroles de vos Anglais, qui ne savent adviser rien de nouvel; mais quand qu'ils voyent leur est bel.

"A tout passèrent outre, ne n'y eut adonc plus fait ni plus dit, et chacun s'en retourna devers ses gens."

Il y a des devises de diverses sortes, ainsi, par exemple:

En allusion au nom des maisons;

Vaudray: J'ai valu, vaux et vaudray.
Granson: A petite cloche, grand son.
En rapport aux pièces des armoiries:
Montchenu (qui porte une bande dans ses armes); La droite voie.

D'autres étaient prises par les chevaliers pour n'être comprises que des personnes qu'ils aimaient.
Philippe-le-Bon: Autre n'aurai.

Jacques de Brimeu: Plus que toutes.

C'étaient encore des proverbes ou des sentences:

Solara: Tel fiert qui ne tue pas.
Baronat: Vertu à l'honneur guide.

Mais les devises les plus honorables sont celles qui se composent de mots historiques; parce qu'elles rappellent toujours un grand évènement.

Gusman de Medina: Le roi l'emporte sur le sang. Don Alonzo Perez de Gusman, étant en 1293 gouverneur de Tarifa, fut assiégé par les Mores et sommé de rendre la place, sous peine de voir mourir son fils, qui était prisonnier de l'ennemi. Gusman leur jeta un poignard en s'écriant: Le roi l'emporte sur le sang!

Ce sont encore très souvent des légendes comme celle de César Borgia: Aut Caesar, aut nihil.

François Ier, et avant lui Charles, comte d'Angoulême, son père, portait une salamandre en devise, avec ces mots: Nutrisco et extinguo, pour signifier qu'il protégerait les bons et exterminait les méchants. Cette devise fut gravée et sculptée dans plusieurs palais. On la voit encore à Fontainebleau sur une tapisserie avec ce distique:

Ursus atrox, aquila levis, et tortilis anguis
Cesserunt flammae jam salamandra tuae
.

Ce qui signifiait que François Ier avait vaincu par sa valeur, les Suisses représentés par l'ours, les Impériaux par l'aigle, et les Milanais par le serpent.

Les princes donnaient autrefois des devises aux seigneurs de la cour, lorsqu'ils les recevaient en qualité d'hommes liges, c'est-à-dire lorsqu'ils les attachaient à leur service. Upton dit qu'en Angleterre, lorsque le roi créait un noble en lui accordant un fief militaire, il lui donnait en temps même la devise.

La devise se place ordinairement dans un listel au bas de l'écusson, le listel de couleur et les lettres de métal, pris l'un et l'autre des émaux de l'écu. Dans l'exemple cité plus haut de la salamandre, adoptée comme devise par François Ier, la salamandre serait appelée le corps de la devise, et le distique l'âme de la devise.

La devise héréditaire, qui se confond avec le cri et que l'on place toujours au-dessus des armoiries, dont elle fait pour ainsi dire partie, n'est ordinairement composée que de mots exprimant aussi d'une manière allégorique et brève une pensée, un sentiment, un dessein, une qualité. Un très grand nombre d'anciennes maisons ont des devises héréditaires, dont plusieurs sont tirées des noms de famille tels que:

Achay: Jamais las d'acher.
Arsces: Le tronc est vert et les feuilles sont arses.
La maison de Bourbon a pour devise: Espérance.

PAVILLONS, MANTEAUX ET INSIGNES

Le pavillon est une espèce de dôme sous lequel on place les armoiries des empereurs et des rois. Les rois de France et les autres princes de la maison de Bourbon le portaient de velours bleu semé de fleurs de lis d'or; les souverains des autres nations le portent couleur de pourpre. Le pavillon surmonte le manteau; mais réunis, on les comprend tous deux sous la dénomination de pavillon.

Les ducs ou princes souverains, mais qui relèvent d'une autorité supérieure ou sont nommés à l'élection, ne prennent que le manteau, dont ils relèvent les courtines de chaque côté, et qu'ils surmontent de leur couronne. Tous ces manteaux sont doublés d'hermines.

Les grands dignitaires des Etats, tels que les ducs titrés et les princes de l'Empire, ont aussi le droit de porter le manteau pourpre. Les pairs de France jouissaient du privilège de le surmonter d'une toque, ornée d'un gland d'or, et entourée de la couronne indiquant le titre attaché à leur pairie, etc. Le manteau de pair était bleu foncé, doublé d'hermine, bordé d'une frange d'or.

Le manteau du chancelier était de drap d'or. Les présidents au parlement le portaient d'écarlate doublé d'hermine ou de petit-gris.

Certains ornements ont aussi servi à désigner les hauts dignitaires. Nous allons en indiquer quelques-uns en observant que les dignités ou les charges qu'ils représentent n'existent plus en France pour la plupart. Quelques autres nations les ont conservés, et il est d'ailleurs nécessaire de les connaître pour comprendre les gravures et les cachets anciens, ainsi que beaucoup d'ornements sculptés sur les monuments.

Les attributs du Chancelier consistent en une figure de reine pour cimier, représentant la France tenant de la main droite le sceptre, et de la gauche les grands sceaux du royaume; et deux masses en sautoir derrière l'écu, qui est environné du manteau de pourpre timbré d'une couronne ducale et sommé d'un mortier comblé d'or, rebrassé d'hermine et bordé de perles.

Le Connétable porte de chaque côté de l'écu une main dextre ou dextrochère armé, sortant d'un nuage, et portant une épée nue, la pointe en haut.

Le grand Amiral porte deux ancres passées en sautoir derrière l'écu de ses armes. L'amiral d'un grade inférieur n'en porte qu'une.

Les Maréchaux de France portent deux bâtons d'azur semé de fleurs de lis, d'aigles ou d'étoiles, selon les diverses époques, passés en sautoir comme les masses du chancelier.

Le Colonel général de l'infanterie portait derrière l'écu et de chaque côté du cimier, quatre drapeaux, dont deux blancs et deux d'azur.

Le Colonel général de la cavalerie prenait quatre cornettes ou petits drapeaux blancs fleurdelisés, qu'il disposait comme ceux du colonel général de l'infanterie.

Le grand Maître de l'artillerie a pour marque extérieure de sa charge deux canons sur leurs affûts, et posés sous l'écusson.

Le Surintendant des finances se distinguait au moyen de deux clefs, l'une d'or et l'autre d'argent, posées en pal de chaque côté.

Le grand Maître d'Hôtel portait deux bâtons de vermeil, terminés en haut par une couronne royale.
Le grand Ecuyer plaçait de chaque côté une épée royale à garde d'or avec baudrier et fourreau d'azur semé de France.

Le grand Chambellan a deux clefs d'or, dont l'anneau est terminé par une couronne royale, passées en sautoir.

Le grand Panetier dispose à côté de son écusson la clef d'or et le cadenas qu'on pose devant le roi.

Le grand Echanson ou grand Bouteiller a deux amphores de vermeil sur lesquelles sont gravées les armes du souverain.

L'Ecuyer tranchant place au-dessus de ses armes un couteau et une fourchette passés en sautoir, les manches émaillées d'azur et semés de fleurs de lis d'or, et terminés par une couronne royale.

Le grand Aumônier accompagne son écusson d'un livre, recouvert de velours rouge, et brodé aux armes du roi.

Le grand Veneur a pour marques de sa charge deux cors de chasse avec leurs attaches.

Le grand Fauconnier, deux leurres.

Le grand Louvetier, deux têtes de loup.

Le grand Prévôt du palais a deux faisceaux de verges d'or, mis en sautoir, liés d'azur, et au milieu desquels est une hache d'armes.

Le grand Maréchal des logis désigne sa charge par une masse et un marteau d'armes, passés en sautoir au-dessous de l'écu.

Les Cardinaux, Patriarches, ou Archevêques primats, placent sous le chapeau et derrière l'écu une double croix tréflée. Les Evêques ont une croix simple, ou la mitre et la crosse tournées à dextre; les abbés mitrés ont de même la mitre et la crosse; celle-ci contournée à sénestre.

Les Chantres prennent un bâton ou masse, debout derrière l'écu.

Les Prieurs et les Abbesses environnent leurs armes d'un patenôtre ou chapelet de sable, avec la crosse contournée à gauche, ou le bâton pastoral fait en forme de bourdon de pèlerin.

Les chevaliers de Malte, comme étant d'un ordre religieux, portent autour de leurs armes un chapelet de corail ou d'argent, entrelacé dans les pointes de la grande croix de l'ordre posée derrière l'écusson. La croix du chapelet est aussi celle de l'ordre. Les Commandeurs ont une épée haute derrière l'écu, et les grands Maîtres la couronne de prince. Il est d'un usage assez répandu pour les chevaliers de Malte, de placer dans leurs armes un chef de gueules chargé d'une croix pleine d'argent.

Les chevaliers des autres ordres placent leurs armoiries dans le collier ou cordon de leur ordre, et laissent pendre la croix au-dessous.