TRAITE DU BLASON par M. Jouffroy d'ESCHAVANNES

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Extrait du livre de Jouffroy d'Eschavannes : Traité complet de la Science du Blason
à l'usage des Bibliophiles, Archéologues, Amateurs d'objets d'art et de curiosité, Numismates, Archivistes
PARIS - Librairie ancienne et moderne - Edouard Rouveyre - 45, rue Jacob, 45 - 1885
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EMAUX

On donne ce nom à toutes les couleurs employées en armoiries, parce qu'on les peignait en émail sur les armes, les vases d'or et d'argent, et tous les meubles précieux. Les plaques que portaient les hérauts étaient aussi émaillées des couleurs de leurs princes et ont fini par prendre le nom général d'émail. La coutume existait aussi de les peindre sur les vitraux ou de les broder sur les vêtements, les tapis et même sur les housses des chevaux.
Sous ce nom d'émaux on reconnaît deux métaux, quatre couleurs et deux fourrures ou pannes qui constituent toutes les couleurs du blason. Chacune d'elles a une signification et est l'emblème d'une idée ou d'une chose. On les nomme: or, argent, gueules, azur, sinople, sable, hermine, vair.
Il a fallu des signes particuliers pour représenter ces émaux lorsque l'on était privé du secours de la peinture. Aussi les sculpteurs et les graveurs ont adopté des traits ou des points dont les dispositions suppléent aux couleurs.
On en attribue l'invention au Père Petra Santa, qui les employa le premier dans un livre intitulé: Tessera gentilitiae.

Or

Ce métal est l'emblème des hautes vertus, telles que la justice, la clémence et l'élévation de l'âme. On s'en sert encore pour dénoter la richesse, la générosité et l'amour. Les vieux auteurs disent naïvement que ceux qui en portent dans leurs armes doivent plus que tous autres cultiver les vertus de la vraie chevalerie.
On le représente en gravure par un pointillé.

Argent

C'est le second métal employé dans les armoiries.
On ne le représente pas en gravure, c'est-à-dire qu'on ne fait aucune hachure sur la pièce où il doit se trouver. Il est l' emblème de l'innocence, de la beauté et de la franchise.

Gueules

Les croisés rapportèrent des pays d'outre-mer, non-seulement des récits merveilleux, mais aussi des images d'objets fantastiques qu'ils cherchaient à dépeindre avec le peu de mots arabes que leur fournissait leur mémoire. Une langue si différente, dont quelques mots étaient jetés dans les narrations, rendait celles-ci plus extraordinaires pour les auditeurs. Les chevaliers, en se rencontrant dans cette patrie dont ils avaient été éloignés, aimaient à se parler en arabe; c'était un souvenir des dangers courus ensemble; c'était comme le signe de reconnaissance d'une franc-maçonnerie héroïque. Il n'est donc pas étonnant que le langage des armoiries ait adopté des expressions orientales, d'autant plus qu'il avait à peindre des faits accomplis en Orient. Telle est l'origine du mot gueules pour exprimer la couleur rouge. Ghiul, en langue turque, signifie la rose. C'est aussi le nom générique de tout ce qui est rouge.
Il faut se garder d'une opinion assez répandue et qui cependant ne repose sur aucun fondement; c'est que l'expression de gueules employée en armoiries a été prise de la gueule des animaux dont la couleur est rouge. Gille Ménage, en ses Origines, s'exprime ainsi: Gueules, couleur rouge en armoiries, prend son nom de certaines peaux rouges dont les vêtements étaient ornés; ce qui est confirmé par saint Bernard; rubicatas pelliculas, quas gulas vocant. Les vêtements de cette couleur étaient en grand usage chez les Gaulois, et ceux que l'on ornait de peaux rouges au cou et aux manches se nommaient gules ou goules.
Cet émail indique le courage, la vaillance et le carnage des combats, ainsi que le sang versé pour le service de l'Etat.
On représente le gueules en gravure au moyen de hachures verticales de haut en bas.

Azur

L'azur, nommé par quelques auteurs couleur saphirique et turquine, est le bleu céleste.
Comme nous l'avons dit au sujet du gueules, c'est encore en Orient qu'il faut chercher l'origine du mot azur emprunté à l'expression arabe azul, qui signifie bleu céleste. Elle est le symbole de la douceur, de l'aménité et de la vigilance. Employée pour couvrir le champ, elle représente le ciel. A l'opposé du gueules, on l'indique par des lignes horizontales.

Sinople

Le vert a été ainsi nommé de la ville de Sinope en Paphlagonie. Le Père Ménestrier dit avoir en sa possession la copie d'un manuscrit de l'année 1400, où se trouvent ces mots: Synoplum utrumque venit de urbe Synopli, et est bonum; aliud viride, aliud rubicundum. Viride Synoplum seu synopum dicitur Paphlagonicus tonos, et rubicundum vocatur Hamatites Paphlagonica.
Cette couleur est la moins employée dans les armoiries, justement parce que, nous étant venue d'Orient, elle ne pouvait se trouver sur les écussons des familles dont l'illustration était antérieure aux croisades.
On sait que le vert est encore en Orient la couleur sacrée, et que les ulémas seuls ont le droit de s'en parer. Les héraldistes le regardent comme l'emblème de l'espérance, de la courtoisie et de la joie. La gravure le désigne au moyen de lignes diagonales de droite à gauche.

Sable

On ne s'accorde pas sur l'étymologie de cette expression de sable, attribuée à la couleur noire; cependant il est probable que l'opinion qui la désigne comme provenant de sable, terre, n'est pas la meilleure. Il serait plus rationnel de croire que nous l'avons prise au mot allemand zobel, martre noire, ce qui paraîtrait confirmé par notre mot zibeline, donné à cet animal. Cette couleur était souvent adoptée par les chevaliers qui voulaient garder l'incognito, et elle désigne aussi le deuil et la tristesse, la prudence, l'humilité, le dégoût du monde. Les graveurs l'indiquent par des hachures transversales et verticales.

Hermine

L'hermine est la peau d'un animal dont la fourrure est entièrement blanche et que l'on a coutume de parsemer de petits lambeaux de peau d'agneau de Lombardie, dont le noir tranche sur l'hermine et en fait ressortir la blancheur.
On représente cette panne par un champ d'argent semé de petites croix de sable desquelles pendent trois branches qui vont en s'élargissant. Ces mouchetures, placées en quinconce, doivent être comptées en blasonnant si leur nombre est inférieur à trois ou quatre sur chaque rang.
Le contre-hermine s'obtient en substituant les couleurs, c'est-à-dire en faisant le champ de sable et les mouchetures d'argent. On peut dire aussi poudré d'argent.
Cette fourrure est toujours l'indice d'une haute autorité. Les ducs, les chevaliers, les pairs en doublent leurs manteaux.

Vair

Le vair est composé d'argent et d'azur au moyen de petites cloches opposées les unes aux autres, c'est-à-dire métal à couleur, et alternativement renversées et debout, en commençant par l'argent.
Les pièces de vair sont disposées sur quatre rangs ou tires dont le premier et le troisième comprennent quatre cloches d'azur et trois d'argent, et sont terminés aux extrémités par deux demi-pièces aussi d'argent.
Lorsque les pièces dépassent ce nombre, on dit: de menu vair. Dans le cas contraire, la panne prend le nom de beffroi.
Le contre-vair se forme en opposant par les bases et par les pointes les pièces de même émail.
Il peut arriver aussi que les couleurs soient autres que l'argent et l'azur; on se sert alors du mot vairé, et on l'exprime en blasonnant. Le contre-vairé se forme comme le contre-vair.

Pourpre

Il existe une autre couleur employée rarement en armoiries et qu'on nomme pourpre. Prise indifféremment pour la couleur purpurine et le violet, elle n'a jamais été bien déterminée, et quelques héraldistes ont même pensé qu'elle constituait une faute contre les règles du blason. Il est cependant nécessaire de l'admettre parce qu'elle se rencontre sur plusieurs écussons de l'empire français et chez les nations étrangères. On la reconnaît en gravure à des traits dirigés de gauche à droite.

Autres couleurs

Les Anglais ont adopté aussi une couleur qu'ils nomment orangé. On la représente par un croisé de lignes verticales et de lignes diagonales.
L'homme, avec sa couleur naturelle, est dit de carnation.
Les animaux, fruits, etc., dans le même cas, sont dits au naturel.

Règles à observer pour les couleurs

L'écu rempli d'un seul émail est dit plein: d'or plein, de gueules plein.
On ne doit jamais poser métal sur métal ou couleur sur couleur, sous peine d'infraction aux règles du blason. Les cas exceptionnels sont très rares et se disent cas à enquerre. Les fourrures, couleurs de carnation ou naturelle, se placent indifféremment sur tous les émaux. Il en est de même du pourpre.